Emanuele Conte (Prof. Université RomaTre):
"Yan Thomas è morto a Parigi nella notte fra il 10 e l’11 settembre", Forum Historiae Iuris, http://www.rewi.hu-berlin.de/online/fhi/index_de.htm
Yan Thomas è morto a Parigi nella notte fra il 10 e l’11 settembre. Da qualche tempo era afflitto da problemi di salute, dei quali soffriva con compostezza, lamentandosi semmai qualche volta soltanto perché la fatica fisica gli impediva di dedicarsi agli studi come avrebbe voluto.
Negli ultimi anni, oltre alla sofferenza fisica, anche un impegno amministrativo gli aveva sottratto tempo per concludere i libri che aveva già nel cassetto da anni. Dirigeva infatti un dottorato sulle Culture giuridiche europee che raccoglieva intorno all’Ecole des Hautes Etudes di Parigi istituzioni importanti di quattro Paesi europei, e si occupava della formazione dottorale di giovani provenienti da ben dodici nazioni diverse, impegnati in una sorta di “grand tour” che in tre anni li porterà a vivere in tre grandi nazioni europee.
Come ogni anno, avrebbe dovuto lavorare con i suoi dottorandi durante una settimana di studi a Roma, e soltanto all’ultimo momento aveva dovuto cancellare la sua partecipazione per sottoporsi a Parigi all’operazione chirurgica che non è riuscito a superare.
I suoi amici e i suoi allievi, riuniti a Roma, hanno dunque ricevuto insieme la terribile notizia: la morte di Yan Thomas ci toglie per sempre uno studioso di eccezionale acutezza, ma anche un amico e un maestro insostituibile.
Yan era un uomo appassionato dei suoi studi, certo, ma anche delle persone – studenti o colleghi – che lavoravano con lui. Questa passione profondamente umana, questa curiosità per l’intelligenza altrui gli conferivano una personalità magnetica, dalla quale sono rimasti affascinati moltissimi di quelli che lo hanno conosciuto.
Intorno a lui si verificava così il miracolo di riportare la storia del diritto al centro degli interessi di tante discipline diverse e lontane fra loro nell’accademia. Grazie ai suoi scritti e ai suoi seminari, giuristi e teorici del diritto; filosofi e sociologi; antropologi e storici scoprivano che il diritto e la sua storia sono protagonisti a pieno titolo della civiltà occidentale. Yan ha saputo rompere l’isolamento nel quale la storia del diritto ha vissuto per decenni, ha saputo uscire da quell’”hortus conclusus” di cui discutevano, mezzo secolo fa, i maestri dei nostri maestri. L’orto di Yan non è mai stato chiuso: fecondato da mille semi diversi vedeva crescere piante ibride, ma originali, resistenti, belle.
Ci restano i suoi articoli, i libri che ha pubblicato e quelli che aveva consegnato agli editori e che speriamo di leggere presto. Ci resta l’entusiasmo che ci ha comunicato e il coraggio di tentare strade nuove della ricerca. Ma per sempre abbiamo perso il suo sguardo penetrante, le sue espressioni perfettamente tagliate, la sua ironia, la sua passione. Yan ci mancherà. Ci mancherà irrimediabilmente.
Emanuele Conte, 15 settembre 2008
Marcela Iacub (chercheure au CNRS):
"Yan Tomas, la mort d'un grand maître du droit", Libération, mardi 23.09.2008
Yan Thomas, le grand juriste, spécialiste de droit romain et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales qui, depuis quelques décennies renouvelait l’approche du droit, est mort. Il ne s’est pourtant pas éteint à la suite d’une longue maladie qui nous eût laissé le temps de nous préparer. Il nous a été brutalement arraché par un accident postopératoire, alors qu’il se préparait à rassembler ses articles dans des ouvrages qui lui eussent enfin acquis une notoriété publique à la mesure de l’importance de son œuvre.
Car celle-ci est aujourd’hui dispersée dans des revues spécialisées où sont parues des séries d’articles qui sont autant de chefs-d’œuvre de style et de science, qui ont su trouver une très large audience dans un public savant fort varié, allant de l’histoire du droit à la philosophie, en passant par l’anthropologie et les sciences politiques.
Depuis quelques années, une rumeur se faisait de plus en plus insistante : un immense spécialiste de droit romain était en train non seulement de renouveler entièrement l’approche du droit, en la remettant au cœur des interrogations anthropologiques les plus fondamentales (qu’est-ce que naître ? qu’est-ce que mourir ? qu’est-ce qu’hériter ? qu’est-ce qu’une chose ?), mais encore de bouleverser l’image des sciences humaines dans leur ensemble, offrant peut-être une solution à ce qui semble être leur crise contemporaine. Tristesse des générations sans maître, disait Gilles Deleuze. Mais il faut aussi savoir chercher ses maîtres.
Yan Thomas était un maître, et d’autant plus qu’il ne le voulait pas. Maître réticent, contrarié, humoriste, défiant, mais maître authentique. L’œuvre de Yan Thomas se caractérise par une unique alliance de la fantaisie et de la rigueur. Il mit l’esprit de géométrie le plus intraitable, les qualités de précision et de clarté les plus évidentes, la sévérité dans l’érudition la plus hyperbolique (il eût sacrifié sa vie à l’exactitude d’une référence dans une note en bas de page), au service d’un étrange théâtre où son imagination et son audace théorique se plaisaient à camper les situations les mieux à même de susciter notre stupeur poétique ou métaphysique.
Il nous apprit que ces créatures sèches et discrètes que sont les normes juridiques peuvent, si l’on sait s’y prendre, dévoiler les plus grands mystères, aider à résoudre les énigmes les plus obscures. Ainsi, à travers l’analyse qu’il faisait de la manière dont les Romains avaient organisé le droit des tombeaux, Yan Thomas amenait son lecteur à changer profondément ses représentations du temps et de la mort.
Révélant, à travers ses études sur le droit romain de la famille, que celui-ci s’était constitué d’une manière parfaitement indépendante de toute idée de nature (au point d’autoriser que l’on adopte plus vieux que soi, que l’on naisse d’un mort, etc.), il montrait que nous pouvions nous sentir libres d’inventer aujourd’hui des formes de sociabilité et de parenté entièrement nouvelles. Mais dans le même temps, il nous fit comprendre que le droit, que nos contemporains regardent comme un outil assujetti à notre volonté politique ou morale, a en réalité une logique propre, une vie qui nous échappe, et que non seulement nous ne créons pas notre droit, mais que c’est lui qui nous crée.
Yan Thomas savait montrer que les idées que nous nous faisons de la paternité, de la nature des choses, des personnes, du temps, du corps, ont été bien souvent mises en place dans d’obscures dispositions du droit de l’Antiquité. Loin donc de n’être que censure, frein ou épée menaçante, le droit est bâtisseur et organisateur de la trame anthropologique dans laquelle nous vivons.
Cette puissance, Yan Thomas nous montra que le droit la devait à ce qu’il a à faire à cet élément qui est l’objet de prédilection des sciences humaines : le pouvoir. Mais, au lieu de s’épuiser à traquer cette gorgone dans les regards, les mots, les structures économiques ou les théories médicales, comme le firent des générations de chercheurs, il suggéra de se pencher sur les règles de procédure pénale, sur les techniques judiciaires d’extraction des aveux, sur les règles de représentation privée, bref, sur ce monde bien visible que nous avons l’habitude de considérer comme une superstructure ou un faux-semblant.
L’œuvre de Yan Thomas non seulement a jeté un regard neuf sur le droit, redonnant tout son intérêt à cette discipline souvent perçue comme ingrate, mais il ouvre des perspectives tout à fait nouvelles sur l’ensemble des sciences humaines, dont la portée ne cessera, j’en suis sûr, de s’imposer dans les années à venir. On comprend qu’une disparition si brusque ne saurait être paisible. Comment peut-on se résigner à ce qu’un tel esprit cesse aussi brutalement de poser son regard sur le monde ? Comment peut-on accepter que cette pensée qui n’avait nullement fini de se déployer soit soudain abattue ?
Certes, il nous reste son œuvre, cette œuvre qu’il faut désormais publier. Je veux croire qu’ainsi il sera un peu moins mort et personne ne m’enlèvera cette idée farfelue de la tête. Comment se consoler autrement de la perte d’un esprit au sommet de sa puissance ? Nous qui avons connu et aimé Yan Thomas dans sa personne savons tout ce que nous perdons avec lui. Mais un auteur est un peu comme le roi tel que le décrit Kantorowic dans les Deux Corps du roi (ce livre qu’il aimait tant), et une partie de lui est à l’épreuve de la mort. Les générations à venir devront se contenter de cette part, qui continuera, j’en suis certaine, à agir sur leurs esprits avec la même puissance d’éveil qu’il a exercé sur le nôtre.
On n’a pas fini de lire Yan Thomas.
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